- Veux-tu me dire comment t'as fait pour être capable en trois secondes et quart, de calmer cette petite bande de diables en liberté?
Oh... L'expérience, sans doute? qu'il m'avait lancé en me tapant un clin d'oeil. Je conte depuis une dizaine d’années dans des écoles un peu partout au Québec, je connais des trucs pour les calmer à tous les âges!
J'avais été épatée par son aisance, par sa chaleur. Par la qualité de sa présence; par le ton et par le sujet du conte. Aussi nous sommes-nous donnés rendez-vous afin que je puisse le présenter ici, chez Marthi mag. C'est donc ce que nous avons fait le 11 mai dernier sur une terrasse près de Saint-Denis sous un soleil éblouissant. Un genre d'après-midi tellement exquis qu'on eut voulu qu'il demeure figé dans le temps...
|
|
André, c'est quoi au juste ton parcours? D'abord tu viens d'où?
Moi je suis né à Lévis et j'ai grandi à Senneterre, dans une famille tout ce qu'il y a de plus traditionnelle, en Abitibi. Un coin de pays en plein milieu de la forêt qui vit justement de l'industrie forestière et qui est probablement vouée à « se recycler », c'est de même. Avec mes parents, dans ma jeunesse, on pouvait rouler une heure juste pour aller manger du poulet frit Kentucky à Val-d’Or! Dans ce temps-là, surtout en région, les lois n’étaient pas trop strictes sur les routes du Québec avec la vitesse. Et puis les distances sont pas interprétées comme en ville. Admettons que tu partes de Laval et que tu veuilles te rendre à Longueuil, t'as juste Montréal à traverser, mais ça va quand même te prendre une heure, et t’auras juste vu des maisons. Quand tu roules une heure en Abitibi, tu peux voir des forêts, des lacs, des rivières… et même des orignaux !
|
T'étais d'un genre rebelle?
Euww. Oui. :)
T'as fait tes études là-bas?
En partie, mais c'est surtout à Québec et à Montréal que j'ai étudié : Bacc en Arts visuels à Québec et Maîtrise en Philosophie à Montréal.
Arts visuels et Philo? T'as pas fait de littérature?
Non, mais ça n'a rien changé à mon parcours professionnel... Ce qui est arrivé, c'est que sur un coup de tête, en dernière année de philosophie, j'ai participé à un concours littéraire organisé par l'UQÀM et j'ai gagné le premier prix. Alors je me suis dit que ce que j'écrivais devait être quand même pas mal... En quittant l'Université, j'ai fondé la revue littéraire STOP avec des amis. On était en «compétition» avec la revue XYZ qu'on jugeait trop «classique¢. STOP publiait des auteurs underground, on tentait de couvrir les zones grises avec Patricia Lamontagne, Genevieve Letarte, Christian Mistral, Stanley Péan, Daniel Sernine, Jean Pierre Girard, Marie-Francoise Taggart, etc. Cette aventure-là a duré une quinzaine d’années.
Ensuite, on a fondé Lectures, un mensuel consacré aux livres. On vivotait des annonceurs publicitaires jusqu'à ce que le Voir lance son supplément littéraire. Ils sont venus chercher la moitié de nos revenus et bon, ça nous a fait mal. On a dû fermer... Le plus ordinaire, dans cette histoire, c'est qu'une couple de mois après notre fermeture, le Voir a cessé de publier son supplément littéraire. Ça nous a un peu fait ch... j'avoue.
Alors qu'est-ce que t'as fait?
Après ça j'ai ouvert une librairie sur Sherbrooke avec une amie, Karen Ricard : «Boulevard du Crime» que ça s'appelait. On se spécialisait dans la littérature policière. On a tenu ça à bout de bras durant six mois où je me plais à dire que j'ai fait mon MBA en même pas deux sessions! En bout de ligne, on n'a rien perdu, mais, bon. Rien gagné non plus. N'empêche qu’à travers cette aventure, j’ai fondé la revue de poésie EXIT avec Tony Tremblay. La revue est encore publiée et parallèlement à ça, j'ai mis sur pied la maison d'édition Planète Rebelle qui elle aussi existe encore aujourd’hui. Cette période-là a été un grand tournant dans ma vie parce qu'elle m'a permis de rencontrer des gens de l'univers du conte...
En 1998, on a fondé, avec Jean-Marc Massie, les Dimanches du conte au Sergent Recruteur. Ensemble, on a réuni toute une communauté tissée pas mal serrée, entre les conteurs et le public... Cette formule-là a été franchement assez «glorieuse et extraordinaire» et les mots ne sont pas trop forts! On finissait de conter à 21h et souvent ça fêtait passé minuit :) Oui, on y a connu des moments pas mal fabuleux, vraiment!
Mais, comme cela arrive souvent, quand il y a trop de publicité autour d'un événement, ça amène des curieux, ça brise un peu le charme, la communauté, l'esprit de famille. Traditionnellement, le conteur performait dans une cuisine ou un chantier, au milieu des voisins, des amis, de la famille... Du moment où tu mets le conteur d'un côté sur une scène et le public de l'autre, ça créé une dichotomie et ça perd de son charme.
Les Dimanches du conte , ça a commencé par une petite collectivité underground, où tout le monde se connaissait, et puis d'un coup, sous l'effet de la pub, les soirées ont été peuplées de nouveaux visages, de nouveaux arrivants qui ont finalement pris toute la place sans vraiment s'imprégner de l'esprit.
T'es toujours comme ça? Sans compromis?
C’est un idéal et ce n’est pas toujours facile de tenir le cap. J'aime les gens qui changent vraiment quelque chose quand ils prennent la peine de parler, j'aime pas les paroles en l'air, l'hypocrisie. Pour moi, l'art, ça sert à communiquer. À questionner. À transmettre des valeurs. À remettre en question. Une jour, j’ai pris mon char et je suis allé en Louisiane, rencontrer des conteurs cajuns. Là-bas, les contes se font de façon traditionnelle. Dans un français pas toujours facile à comprendre (!), mais j'ai apprécié le vrai là-dedans, le réel désir de garder une langue, une communauté... J'ai apprécié le rapprochement humain. Il faut dire que j’en ai assez d'écouter de prétendus artistes dire n'importe quoi. Je n'aime pas me dire, en regardant un spectacle: «C'est beau ce que tu dis, mais j'y crois pas». Même dans les écoles. Des fois, par exemple, les profs me trouvent audacieux avec les enfants, ils trouvent que je vais un peu loin! Alors, je les mets à l'aise en leur disant de ne plus m'inviter, si je les gêne... Heureusement pour moi et pour les enfants, je suis souvent réinvité :) Je me plais à être seul juge de ce que les enfants peuvent recevoir ou non de « ma » part. Ils sont jeunes, mais intelligents et ils savent faire la part des choses pour comprendre le message que leur offre le conte.
Un autre exemple: le Combat contre la langue de bois du Festival voix d'Amérique (que j’ai fondé en 2002, maintenant dirigé par D. Kim) ; des artistes sont invités à parler, chiâler, gueuler, critiquer la fameuse langue de bois des politiciens et autres démagogues frileux. Ça marche à fond (les soirées sont souvent complètes) ! Les invités sont intelligents, cyniques, corrosifs. Le problème, c'est qu’une une fois les soirées terminées, chacun rentre chez lui et continue de faire la même chose qu'il faisait la veille. Tout le monde s’est donné bonne conscience pour seulement 20$. Mais rien n’a changé, rien n’a été entrepris, rien de neuf sous le soleil n’est apparu... Un gros coup de bâton dans le vide !
Aujourd'hui tu contes dans à peu près toutes les écoles du Québec et tu planches sur le projet « quoifaireaujourdhui.com»? Ça marche bien?
Oui tout ça fonctionne très bien ! quoifaireaujourdhui.com, c'est une idée que j'ai eu avec l’arrivée d'Internet dans les maisons, au milieu des années 90. À l'époque, dans l’ère du web 1, ça m'aurait coûté 50 000$ pour monter ce projet ! Aujourd'hui, avec le web 2, la démocratisation du médium, avec un peu de temps et quelques dollars, j’ai pu mettre en ligne quoifaireaujourdhui.com dans le temps de le dire. Ça vaut la peine parce que c'est un outil pratique quand on a envie de savoir là, maintenant, aujourd'hui, ce soir, demain, qu'est-ce qui se passe d'intéressant à Montréal en musique, théâtre, conte, arts visuels… En un clin d'oeil, on a toute une panoplie de suggestions d’événements que, souvent, on ne retrouve nulle part ailleurs ou qu’on retrouve seulement en partie. Et en plus, c’est gratuit !
Quoi faire aujourd'hui? Allez-y! Essayez! >>
|
|
À noter que le spectacle «Les petites Gences de la Grande Vie» accepte vos invitations! Vous pouvez contacter André Lemelin en cliquant ici >>
À noter que tous les 3e mardis du mois, André Lemelin présente «Les contes des Mardis-Gras» (cofondés en septembre 2002 avec Claudette L'Heureux) ; ces soirées de conte se déroulent d'octobre à avril chez-lui, dans son salon, sur le bord du poêle à bois.
|
|