On la croise souvent sur Parc, sur St-Viateur, sur Bernard... On la remarque toujours. Elle est aussi rousse qu'explosive, aussi douce que complexe. Généreuse, provocatrice, racée et féline, comme une vieille tigresse qui en a vu d'autres, elle joue avec brio la grâce du cygne ou la fougue du typhon! C'est vrai! Ceux qui la connaissent vous le diront!
YOLANDE LEDUC-MONTMORENCY
par Martine Guillemette-Milleville
Ce que peu de gens savent, c'est qu'il y a dix ans, Yolande Montmorency Leduc recevait une bourse du Conseil des Arts du Canada pour aller étudier au Japon une danse méconnue en Amérique : Le Butoh. Or non seulement notre danseuse milendaise a-t-elle utilisé sa bourse pour s'envoler et paufiner ses études au Pays du Soleil levant, mais elle fut également honorée par le Canada qui la félicitait alors de poursuivre son oeuvre, n'en déplaise à ses 64 printemps.
Yolande Montmorency Leduc allait alors faire face à un nouveau destin en rencontrant son maître japonais, le grand danseur de Butoh Kazuo Ohno, alors âgé de... 92 ans!
« Tu te rends compte combien je suis chanceuse!? J'ai été formée par Kazuo Ohno lui-même! Un maître! Un homme tellement beau, tellement grand que même aujourd'hui, à 102 ans et en chaise roulante, on lui fait des ovations pas possibles lorsqu'il monte sur scène! Il ne bouge plus ou presque, mais jusque dans son regard, dans son aura, dans son immobilité, il danse toujours... Tu vois, c'est ça le Butoh, c'est une transe, un ''feeling'', un instant, une émotion. C'est de la magie humaine pure, une suspension entre la vie et la mort... Le danseur de Butoh n'a pas besoin de bouger pour faire vibrer tout son auditoire... »
PHOTO : JEAN-PIERRE LACROIX
Les départs de Clairette et d'Amulette Garneau marquent le déclin d'une époque cuturelle riche au Québec. Yolande se rappelle de ces années avec bonheur, mais aussi avec mélancolie.
« Après mes années passées aux Grands Ballets Canadiens, j'ai fait du Burlesque au Théâtre des Variétés. On était tous un peu fous, à l'époque, on avait tellement de plaisir à jouer! Évidemment -certaines choses ne changent pas- on n'avait aucune sécurité financière et donc on n'avait pas de grands moyens, mais on était tellement ouverts au bonheur et ça, ça nous faisait accomplir des grandes choses, des belles choses! On était enclins à rire, à faire entrer la joie dans nos coeurs, sans calculer, sans craindre d'avoir l'air fou! On accordait une large place à l'improvisation et des fois, on pouffait tellement de rire qu'on en oublait toute discipline et on riait de bon coeur avec le public, qui faisait du coup comme partie du spectacle! C'était une parfaite communion entre la scène, les coulisses et la salle, plus rien n'existait dehors, le temps d'un show. Et puis les gens qui venaient nous voir étaient tellement heureux en sortant du théâtre! Tous, autant les médecins que les femmes de ménage, les jeunes les moins jeunes, tout le monde aimait le Théâtre des Variétés. C'était une grande époque.»
Tu as fait aussi l'émission La boîte à Surprise dont nos parents et grands parents nous ont souvent parlé.
Comment as-tu obtenu ce poste?
« C'est Kim Yaroshevskaya -qui jouait la célèbre Fanfreluche- qui cherchait une ballerine pour son émission. Nous étions alors une dizaine à auditionner. Moi j'étais en retard, comme d'habitude, alors je suis arrivée sur scène en courant, avec mes petits cheveux courts (ce n'était pas du tout la mode à ce moment, mais moi je m'en foutais, je trouvais ça beau, j'étais comme Zizi Jeanmaire, du Ballet de l'Opéra national de Paris!!!) et alors que nous dansions, Kim m'a pointée du doigt, comme une petite fille à qui on offre de choisir un coffre à bijou et elle s'est exclamée : «Je veux celle-là»! C'était moi! J'ai eu un réel plaisir, encore là, à travailler avec cette équipe. Ça fait du bien d'avoir des contrats qui t'offrent une certaine sécurité, à tout le moins, pour un certain temps. Je suis restée là deux bonnes années.»
« Oui, moi je suis née ici, au centre. Mais j'ai grandi en campagne, dans le quartier Ahuntsic! Dans le temps, le Nord de la ville, c'était «la campagne!». Moi quand on m'a dit qu'on allait dans Ahuntsic, j'avais 5 ans. Je pensais qu'en s'en allait en pique nique!»
Et puis comment ça s'est passé ta rencontre avec la danse?
« Moi c'est grâce à ma soeur Mariette que je danse! Mariette avait une maladie qui faisait qu'elle était un peu plus «lente» que les autres enfants... Moi je la défendais, comme une tigresse! J'étais toujours avec elle, je me battais pour qu'on la respecte! C'était mon amour de ma vie! Elle et ma mère, c'est mes deux amours éternels! Et mes enfants à moi, c'est ma vie, mes deux cadeaux. Mon fils est cinéaste, Stéphane Montmorency, c'est le meilleur! Ma fille, mon trésor, elle, elle a tout eu dans la vie! Christiane Montmorency qu'elle s'appelle. Elle est belle, brillante -un génie, même-, elle a dirigé le Spectrum durant presque 14 ans. Elle a engagé Sting, Peter Gabriel, Buona Vista Social Club... Le meilleur spectacle de ma vie! Cri-Cri, c'est une battante, je suis tant fière de mes enfants! Mais ma soeur... Ah! Mariette, elle, elle m'a fait danser! C'est avec elle que j'ai appris à «décoller», à prendre conscience du corps, de la vie extérieure, de la vie intérieure. Elle a subi une lobotomie à Saint-Jean-de-Dieu de Montréal, on l'a tuée avant son temps! J'étais enragée contre les médecins, si bien que j'ai souvent été interdite de visite. Je m'enrageais encore plus ! On était sous le régime de Duplessis dans ce temps-là, ne l'oublions pas. Je crache sur cette époque de merde! Malgré tout, c'est à travers la danse et mon amour infini pour ma soeur que je suis passée au-travers de cette grande expérience que fut celle de l'accompagner au-travers de la mort. Je l'ai suivie jusqu'à ses portes et ça m'a donné des ailes. La rendre heureuse jusqu'à la fin, ça a fait partie de ma mission de vie.»
Suite au décès de Mariette, tu as fondé ta propre maison «de repos»?
« Oui! Grâce à René Lévesque. C'est René Lévesqe qui m'a acordé une subvention pour fonder cet organisme-là qui fonctionne toujours et qui s'appelle «Maison Vivre». C’est une maison de transition novatrice pour les gens fragiles... On y trasmet des valeurs humaines incomparables. On leur redonne confiance en eux, on leur rend leur dignité, «Le gros bon sens», comme on dit... On y donne des cours de cuisine, des cours de relaxation, on leur apprend à respirer... Des trucs simples, de la vie de tous les jours.»
Programme de jour et ateliers en santé corporelle, créativité, relations humaines. Entrevue, évaluation, plan de cheminement, accompagnement en temps de crise, insertion sociale. Hébergement avec soutien thérapeutique pour quatre femmes en difficulté déjà inscrites au programme de jour.
Territoire : Rive-Sud
Clientèle : femmes et hommes
de 18 à 45 ans
Capacité : 15 femmes et hommes
Coût : 3 $ par jour
Tu as aussi accompagné ton père et ta mère dans la mort, oui?
« Ah mon Dieu, mes parents! Maman... Encore là, je faisais des choses folles pour elle! Elle a ri jusqu'à son dernier souffle avec moi! Je la sortais de l'hôpital en cachette, on allait se promener dans le parc, on était en cavale! Dans son lit, je la maquillais, on se déguisait et on faisait des photos! Je lui racontais des blagues, on se faisait du théâtre! Ma mère aussi c'était mon grand amour! Mon père est mort dans mes bras.»
Des personnes qui t'on marquée?
«Ah que oui! Gaston Miron, qui m'a déjà dit que j'ai été sa muse pour une vaste partie de son oeuvre! Lui, du plus loin qu'il me voyait, il s'écriait «Yolande! Ma muse, mon amour!!!». Mais Gaston et moi, jamais on n'a pensé à autre chose qu'une belle amitié entre nous! Moi, de toute façon, j'étais intouchable! Ha! Je ne couchais avec personne, moi! Je me suis mariée vierge et c'est très important pour moi de se «conserver». Les filles aujourd'hui, elles couchent comme ça (en claquant des doigts) et après, elles se demandent pourquoi elles ont des maladies! Non, moi, je n'aimais que les hommes de qualité, qui apprécient les femmes pour leur tête, pas pour leur cul! Pour ça Pauline Julien et moi, on s'entendait! Je l'aimais beaucoup Pauline, elle était tellement gentille, sensible, intense! Elle non plus ne se laissait pas faire! J'ai travaillé avec Luis Mariano à la Place des Arts, c’était rempli! On avait 8-9 ovations par soir, on n’en pouvait plus! Ah! Qu'il était beauuuuuu!!! Gilles Latulippe, Suzanne Lévesque, mon Dieu qu'on a ri! Tellement ri! Ah, oui, j'en ai rencontré du beau monde... Tu sais, jusqu’en en ‘61, c'était la mode d'aller à Percé. Il y avait là plein de chansonniers qui s’y tenaient l'été, plein d'artistes. Pauline Julien, Claude Léveillé, Claude Gauthier... On faisait des feux, le soir, au bord de l’eau, t’imagines? Une gang, en particulier, y faisait sa place: la gang de Jean-Paul Mousseau et d'Armand Vaillancourt. J'ai souvent gardé sa fille, à Armand, Galia Vaillancourt qui peint tellement bien. Elle est plus timide que son père, mais Galia, c'est toute une artiste! Bref, tout le monde était là et moi, j'étais bien, dans cet univers. Puis le gouvernement a interdit ce genre d”événements. Ce fut la fin de quelque chose de beau.»
UNE RÉUNION FAMILIALE DES FAMILLES D'ARMAND VAILLANCOURT ET DE YOLANDE LEDUC
Un jeune que j'aime beaucoup aussi, mais cette-fois-ci c'est moi qui lui ai enseigné, c'est Gilles Valiquette. C'était mon élève, ça! Gilles c'est un petit trésor! Je l'aimais tant! C'était au Cégep de Saint-Laurent, j’ai été professeur là en ‘70. Gilles, c’était le meilleur élève de théâtre il était tellement créatif et drôle! J’ai enseigné longtemps en fait, j’ai eu des élèves de tous les âges! J’ai enseigne à un tas de petites filles en tutu qui me faisaient rire! Des fois, je demandais un exercice et une petite cocotte se tortillait avec ses petits chaussons: «madame, z’ai envie pipi!», c’était trop mignon! Oui, j'ai rencontré beaucoup de gens qui m'ont marquée... Pierre Larocque, qui a monté la troupe «Opéra-fête» au début des années '70. La piéce «Ultra-Violet», du théâtre dansé, a connu de très bonnes critiques et si Pierre était toujours de ce monde, il connaîtrait la célébrité, ça c'est obligé! Il avait un talent fou!!! Malheureusement iI nous a quittés peu après mon arrivée au sein de la troupe. J'aurais souhaité cheminer plus longuement avec lui. Un autre qui s’est éteint dans mes bras. Je l'aimais tant... Avant de mourir, Il a écrit une pièce toute spéciale pour Ariane McLean et moi, «Butoh blanc, pour Ariane et Yolande». Ariane, c’est une grande artiste qui a beaucoup d’expérience dans le genre «nouveau théâtre». Elle et moi n’avons pas eu l’occasion de monter cette pièce, mais... Un jour, peut-être, si un metteur en scène s’y intéresse!»
COLLAGE : YOLANDE LEDUC
Et des années 60 à aujourd’hui, qu’est-ce que tu as fait?
« Je me suis mariée et j’ai élevé mes enfants. Je n’ai jamais cessé de danser, chaque jour, chaque instant, même... Je respire pour la danse! Mais j’ai dû faire des choix. J’ai participé à un long métrage d’ailleurs qui fut un succès auprès des téléspectateurs à Télé-Québec. On a battu des records d’audience! On peut toujours le visionner à l’Office National du Film. L’oeuvre –de Francine Prévost- s’appelle «L’amour en famille» et relate les problèmes familiaux que nous avons vécu, mes enfants, moi et mon ex-mari à cause de la danse. Parce que concilier danse-famille-carrière, c’est pas évident, même impossible! C’était en 1985, bien avant que la télé-réalité n’envahisse nos ondes! Francine Prévost était une avant-gardiste et elle a su capter la souffrance qui nous habitait quand Serge (Montmorency) a quitté notre foyer. Tu sais, moi j’ai «mouru», quelque part entre 1960 et 1990, à Laval, dans le bungalow où mon mari m’a emmenée après notre mariage. Je ne voulais pas mettre ma carrière en veilleuse, moi. J’aurais voulu emmener mes petits dans toutes les coulisses! J’aurais voulu continuer! Moi, je ne sais que danser! Alors quand mes enfants ont été assez grands pour mener leur propre barque, je me suis remise à la danse, mais... À 50 ans, c’est pas évident... Ce n’est qu’à 60 ans que Pierre Larocque m’a fait découvrir Kasuo Ohno et le Butoh. Ça m’a sauvé la vie! À 64 ans, quand le Conseil des Arts m’a accordé ma bourse, des ailes ont repoussé dans mon dos et ce voyage au Japon fut mon salut. Kasuo Ohno m’a prouvé que la danse n’a simplement pas d’âge. Juste une âme. Et je compte bien en profiter jusqu’à ma mort... Laquelle d’ailleurs ne devrait pas tarder.»
COLLAGE : YOLANDE LEDUC
Et maintenant? Que comptes-tu faire?
«Maintenant, je travaille sur une interprétation de «La mort du signe», version Butoh. Un petit extrait de 2 minutes d’une pièce d’Anna Pavlova qu’elle a dansé partout dans le monde. Je pratique à mon rythme et quand je serai prête, je la présenterai peut-être publiquement, avec quelques autres extraits, dont quelques-uns du «Requiem» de Mozart. J’ai en tête un concept, avec des projections d’abums que j’ai montés au fil des ans... J’ai passé un certain temps à faire des collages, des catalogues qui relatrent mes expériences en danse, parallèlement aux expériences des grands danseurs qui m’ont précédée : Margie Gillis, Isadora Duncan, Rachel Rosenthal et Kasuo Ohno, évidemment... Une oeuvre de vie qui j’espère, servira à celles qui me survivront.»
YOLANDE MONTMORENCY-LEDUC
Danseuse Butoh
Tél.: 514.272.4928 Voir son blogue >>