Danse et
Mathématiques
Deux disciplines plus unies qu'on le croit

Je me sens obligé d’expliquer mes motivations avant de développer le sujet de cet article. Il semble choquer. Les gens à qui j’en parle me disent que ce n’est pas utile d’en parler. Après tout, les danseurs ne mathématisent pas en dansant et les mathématiciens ne dansent pas en mathématisant! Ensuite, le fait d’avoir à plusieurs reprises (dans deux sessions différentes dans deux cégeps différents) des étudiants en programme bi-disciplinaire « danse-étude » m’a poussé à écrire cet article. Mais l’idée traînait déjà dans ma tête. Je m’explique. Les moins « étude », donc les plus « danse », d’entre eux avaient la fâcheuse tendance de ne pas trop s’impliquer dans leurs cours de mathématiques respectifs en sortant l’éternel : « Ça ne me servira à rien! ». Encore cette phrase! Malheureusement, avec mon imagination débridée, j’étais en mesure d’en voir des applications! Mais, l’aventure commença bien avant. En fait, je me questionne depuis longtemps sur la danse. J’aime danser, mais j’aime très peu de spectacles de danse. Je me suis donc embarqué dans une réflexion sur le sujet.

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En fait, c’est un genre de « quête » sur le sens du geste, de la forme, du mouvement et de l’espace. Donc, cet article n’est qu’une étape dans ce questionnement. Je voudrais d’ailleurs préciser en réponse à des dérisions que le présent sujet a subi dans certaines conversations que l’article porte sur « les mathématiques et la danse » et non sur « les mathématiques de la danse ». Je ne cherche donc pas à inventer une mathématique du mouvement si l’on veut, mais bien à essayer de recenser divers aspects mathématiques de la chose. Par contre, je mentionnerai à la fin les travaux d’un chorégraphe qui tenta au début du dernier siècle de créer une mathématique de la danse.

1. INTRODUCTION

Les mathématiques interviennent de plusieurs manières (arithmétique, géométrie, proportions,...), mais surtout à différents niveaux (cognitif, émotif,...) dans la danse. En somme, les mathématiques sont des outils pour interpréter, visualiser et comprendre la danse. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter un livre sur la chorégraphie (voir figure 1). L’approche et l’utilisation des concepts mathématiques par les chorégraphes est souvent intuitive, voire même naïve. Il suffit de voir l’utilisation de l’axe des ordonnées dans la figure 1.

Par contre, l’étude présentée ici est, je l’espère, plus approfondie. En effet, les mathématiques pourraient aussi être un outil de création des chorégraphies.

Aurait-on intérêt
à croiser nos chemins?

Pour nuancer l’étude, trois points de vue doivent être pris en compte : celui des trois types d’intervenants dans une oeuvre de danse, soit le chorégraphe, les interprètes et les spectateurs. La danse étant un art, on peut se demander quels en sont les médiums de transmission. On retrouve évidemment les danseurs, mais je pense plus qu’ils s’apparentent plus au pinceau qu’à l’oeuvre. Il n’est par contre pas possible de nier qu’ils contribuent aussi à la création de l’oeuvre. Le chorégraphe et les danseurs sont à divers degrés les peintres. La scène non plus ne peut être l’oeuvre, elle est plutôt un canevas sur lequel on met l’oeuvre. Ainsi, la seule conclusion possible est en apparence de penser que le mouvement lui-même est l’oeuvre. Nous essayerons tout au long de cet article d’amener des précisions sur cette question.

Dans les mathématiques, les dérivées et les graphiques servent à étudier les mouvements. Qu’en est-il pour la chorégraphie? Comment représente-t-on le mouvement dans ce domaine? Les mathématiques servent à comprendre et à interpréter le monde. On les découvre, mais on les crée aussi. Elles font partie consciente et inconsciente de notre perception. Elles contiennent certaines vérités reconnues de tous comme étant universelles et indéniables comme « 1 + 1 = 2 » ou que « la somme des angles d’un triangle donne 180o ». Ironiquement, seuls les mathématiciens, les physiciens et les informaticiens connaissons la vérité relative de ces affirmations!

2. ARITHMÉTIQUE

En fait, certains éléments de la danse sont indéniablement mathématiques puisqu’ils ont recours aux nombres de manière explicite. Cette partie des mathématiques étant la plus simple et la plus répandue en est donc la représentante la plus universellement observable. En particulier, on la retrouve dans le rythme de la musique qui accompagne la danse et que l’on me mentionne toujours quand je parle de mathématiques et danse. En second lieu, on me parle souvent des pas de danse que l’on peut identifier facilement dans les « films de danse » par le fameux « 1, 2 3, ... 1, 2, 3... » (pensons à la valse ou par extension, la danse à quatre temps...). Mes interlocuteurs avaient bien raison : voici des mathématiques (de l’arithmétique) puisque l’on compte dans le premier cas, le nombre de notes par mesure et dans le second on identifie une séquence de mouvement à leur position dans un enchaînement (suites, périodicité) ou bien l’instructeur fournit alors une cadence dans laquelle faire les mouvements (mesurer le temps). Mais je prétends que la présence mathématique dans cet art est plus importante. Tout autant que les mathématiques ont un rôle plus vaste que le comptage.

Crédit photo : Steve Savage pour le site ouaibe «Mathdance». CLIQUEZ SUR L'IMAGE POUR ACCÉDER AU SITE >

En fait, un chorégraphe habile peut utiliser l’arithmétique pour augmenter l’effet de la danse. La mise en scène suivante est classique et en est un exemple parfait. Dans une pièce, un danseur se cache habilement derrière un décor. Alors, lorsqu’un couple de danseurs passe proche de ce décor, le troisième, caché, peut s’immiscer entre les deux autres. Le fameux « 1 + 1 = 2 » est rompu. Il est redéfini comme étant « 1 + 1 = 3 ». En fait, ce mouvement s’apparente aux trompes l’oeil et a déjà été utilisé
par de nombreuses troupes. L’effet sur les spectateurs est immédiat et fort si la manoeuvre est subtilement faite. Les mathématiques sont alors implicites en ce qu’elles sont intériorisées en chacun de nous en tant que connaissance ou manière de percevoir le monde.

On remarque que des chorégraphes avertis utilisent aussi les propriétés des nombres. Par exemple, sachant que 7 est premier (on sait qu’il ne peut être décomposé en facteurs ou être représenté par un produit), j’imagine une chorégraphie où l’on se servira de ce fait mathématique. Avec un ensemble de 7 danseurs, on crée un effet d’exclusion. Six des 7 danseurs s’organiseront en 2 rangées de 3 et le dernier n’y trouvera pas sa place. Puis, on crée un soulagement psychologique chez le spectateur. Les 6 danseurs forment maintenant un cercle et l’exclu sera admis au sein de l’ensemble (voir figure 2).

Ce fait illustre « la déraisonnable émotivité » des mathématiques. D’après moi, elle ne provient pas du fait que les mathématiques servent à modéliser le monde, mais bien du fait que les mathématiques sont perçues et découvertes par des êtres humains.

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