LETTRE DU LECTEUR :
Une affaire que je vous soumets
Vous savez, Messire Harpagon, l'intérêt que je prends à vos affaires et le désir que j'aurais de vous être agréable, et je vous en compte donner une nouvelle preuve. Il s'agit cette fois d'un jeune fils de famille fort riche, mais que l'avarice de son père laisse sans ressources; l'urgente situation où il se trouve le presse de trouver sur l'heure cinq mille écus et il en passera, vous puis-je assurer, par tout ce que vous en prescrirez. Je ne saurais vous en dire plus dans cette lettre, mais ce qu'il vous faut savoir dès maintenant, c'est que sa mère est morte et qu'on ne peut lui en ôter le bien, et de surplus qu'il s'obligera, si vous voulez, que son père mourra avant qu'il soit huit mois.
Sans doute aurez-vous eu le temps de rêver à cette affaire avant ce soir, quand je vous viendrai visiter.
Maître Simon, courtier
RÉPONSE DU PERSONNAGE :
Re: Une affaire que je vous soumets
Eh quoi? Maître juré filou!
Vous revenez à la charge après la comédie honteuse que vous me fîtes jouer ce matin en compagnie de mon fils Cléante? Dois-je vous rappeler les circonstances de cette funeste farce? Votre mémoire vous fait-elle à ce point défaut? Vous m'avez déjà fait jouer, céans, le rôle du créancier auprès de mon propre fils, n'est-ce pas là une raison suffisante pour vous éloigner de ma mémoire un long moment? Coquin, vous voilà encor' en quête d'un pauvre barbon à dilapider?
Quoi qu'il en soit, la charité nous oblige à faire plaisir aux personnes lorsque nous le pouvons, et je ne puis rejeter la demande votre débiteur. Votre jeune client est bien sot. Outrepasser de la sorte le pouvoir d'un père en empruntant une coquette somme sans son assentiment et en le poussant vers le trou est une action bien vile. Cinq mille écus dites-vous? C'est un montant considérable que j'aurai beaucoup de peine à trouver sur l'heure. Vous savez à quel point votre serviteur est désargenté. De plus, une mauvaise affaire, que j'espère régler dans la journée grâce à Monsieur le Commissaire, va compliquer notre commerce, et je ne puis vous garantir un prêt sur gage aujourd'hui même. Le créancier que je suis est présentement dans une impasse qui le mène à sa perte.
Je serai par conséquent dans l'obligation de réévaluer le taux de cet emprunt; vous comprenez sans doute les honnêtes raisons qui me poussent à agir de la sorte. Il était compté que le débiteur rembourserait l’argent prêté au denier 18, soit un denier d'intérêt pour dix-huit prêtés. S’ajoute à cela, et nous en avions convenu ainsi, un remboursement au denier 5, étant donné que cette somme, je suis moi-même dans la nécessité de l'emprunter. Votre client doit savoir que je ne saurai trouver les quinze mille livres qu'il demande et que trois mille lui seront versées en nature (hardes, nippes et bijoux divers). Sachant que les circonstances actuelles m'amèneront à emprunter davantage que je ne le fis préalablement pour servir vos divers chalands, je vous propose en définitive un remboursement au denier 3, avec échéance dans les deux mois qui suivront la signature de l'acte notarié. L'usure est non négociable et si le débiteur dépassait cette date, il serait dans l'obligation d'ajouter deux mille livres à la somme empruntée et aux intérêts divers.
J'attends de vos nouvelles, mais ne vous avisez pas de me duper une seconde fois. Ma colère serait terrible!
Harpagon