De Paradiso à Pine
Le propriétaire du fameux Cinéma Pine de Sainte-Adèle a grandi dans la pellicule!
Vous vous souvenez du film Cinéma Paradiso de Giuseppe Tornatore, avec Philippe Noiret, qui raconte l'émouvante histoire d'un petit garçon qui a grandi dans le cinéma de son père? Eh bien figurez-vous que Sainte-Adèle a son propre Cinéma Paradiso. C'est le Cinéma Pine. Et le petit garçon est devenu grand : il s'appelle Tom Fermanian.
La vie de Tom Fermanian pourrait bien faire l'objet d'un film !
Une vie bien remplie, un rendez-vous avec la romance et le succès.
Tous les cinéphiles des Laurentides connaissent Tom Fermanian. Tout le monde à Sainte-Adèle a une histoire à raconter au sujet du Pine. On y a embrassé sa première blonde, on y a vu ses premiers films à grand déploiement, on y a vécu son premier coup de foudre pour Catherine Deneuve, Émanuelle Béart, Tom Cruise ou Sean Connery. Ce que les gens ne savent pas, c'est que la vie de Tom Fermanian aurait aussi pu faire l'objet d'un véritable film. Le principal intéressé s'en défend et affirme que son existence, qui commence souvent très tôt le matin et se termine la plupart du temps passé minuit, est un long fleuve tranquille.
Une image un peu irréelle, la haute technologie du Cinéma Pine au coeur d'une nature généreuse : celle des Laurentides.
Pourtant, Tom est connu jusqu'à Hollywood où il côtoie les grands producteurs qu'on imagine affublés d'un cigare, discute en tête-à-tête avec les bonzes de la distribution planétaire de films, a foulé la Croisette à Cannes de même que le vignoble de George Lucas Nombre de réalisateurs québécois ont choisi le PIne pour faire leurs lancements. Il a serré la pince à plus de vedettes que vous en avez vues à l'écran. Tom prend peut-être l'avion comme on prend un taxi, il n'en demeure pas moins qu'il semble planté en parmanence dans le hall de son cinéma, à saluer sa clientèle. Même s'il dirige ses affaires avec détermination, le gars est d'une simplicité, d'une gentillesse et d'une humanité désarmante.
Le Cinéma Pine fait partie intégrante de la vie des citoyens laurentiens... Depuis trois générations ! Voici la phase I du cinéma telle qu'on le connaît depuis toujours.
« Tous les cinéphiles des Laurentides connaissent Tom Fermanian. Tout le monde à Sainte-Adèle a une histoire à raconter au sujet du Pine. On y a embrassé sa première blonde, on y a vu ses premiers films à grand déploiement, on y a vécu son premier coup de foudre pour Catherine Deneuve » |
Tom Fermanian est né le 12 février 1954. Il a un frère de quatre ans son aîné, Perry (décédé en 1992). À l'époque, la famille Fermanian habite dans un appartement aménagé au-dessus de la marquise et des guichets de cinéma. Tom a littéralement grandi au milieu des projecteurs, des bobines de films et des affiches multicolores. Soir après soir, la foule s'amasse à la porte du Pine pour y perdre la notion du temps et connaître un moment de magie, d'émotion et de grâce.
Tom est le fils d'un immigrant dont la famille a fui le génocide arménien en 1918. L'oncle de Tom, Hagop, est décapité par les Ottomans, sous les yeux de sa famille, cachée dans les arbres de la place publique de son village. Il tentait de négocier un sauf-conduit pour les siens, vers l'extérieur de la Turquie. Le père de Tom, Phil, alors âgé de 14 ans, organise la fuite du Clan Fermanian. À pied, à cheval ou autrement, une odyssée de plusieurs mois les mènera en Syrie, en Europe puis à Montréal où Phil y a un beau-frère, Dick Karibian. Papa Fermanian sera journalier, agriculteur, photographe. Il parle arménien, turc, arabe, anglais et français. Il a un furieux désir de s'intégrer à la société québécoise des années 20. Le beau-frère possède justement une terre à Sainte-Adèle qu'il a achetée lors du mouvement de colonisation lancé par le Curé Labelle. Mais ce rêve, digne des plus belles histoires des Pays d'en Haut est en fait une déception : impossible de cultiver ce champ de roches! Qu'à cela ne tienne, Phil, son frère Jack et sa soeur Fimi travailleront à l'épicerie de Monsieur Dumouchel, à Sainte-Adèle. En vrais immigrants arrivés ici avec leurs seuls vêtements, ils finiront par lancer un magasin de fruits et légumes. Dans les années 40, Phil rencontre une jeune Canadienne-française pimpante et déterminée, Aurore, qui le somme de réaliser son rêve : bâtir son propre cinéma.
Sinon elle ne le mariera pas!
Phil a fait le tour des villages environnants, avec son projecteur sonore 16mm, pour finir par s'installer dans la chapelle du Curé Brouillette, à Sainte-Adèle. Le curé y voit une façon de financer ses bonnes oeuvres, mais l'évêque de Saint-Jérôme juge immoral ce qui se passe lorsqu'on éteint les lumières pour projeter un film... En 1948, le Pine voit le jour. C'est la seule salle climatisée au nord de Montréal. En '52, Phil marie Aurore.
Et voici la très sympa phase II, une architecture réussie qui se marie bien au décor montagneux!
Rapidement, le jeune Tom a fait le tour de la boîte : «J'ai vendu des billets, du pop-corn, de la liqueur. J'ai déchiré les tickets, lavé les toilettes, transporté les lourdes bobines de film, nettoyé les allées entre les projections. À 11 ans, je pouvais ''runner" le cinéma à moi tout seul!» Mais le plus important, comme dans le film de Tornatore : Tom apprend le maniemant du projecteur et les changements de films. À l'époque, il fallait enchaîner les images entre deux projecteurs, simultanément, car un film pouvais compter plusieurs bobines... qui ne se touchaent pas. Le public n'y voyait que du feu, sauf quand le projectionniste manquait son coup! «Je suis un des rares projectionnistes vivants qui connaît cette technique», lance Tom, un peu amusé de ce souvenir. Rapidement, il connaît les moindres composantes du matériel de projection et de sonorisation. Il projette de nombreux films illégalement, car il n'est pas majeur! «Dans les années 60, j'ai vu peu de films osés, mais j'ai tout de même bien compris comment était faite une femme! Surtout avec le film québécois «Valérie»!», dit-il à la blague.
Mon ami d'enfance, Michel Desjardins, qui s'est prêté à la séance photo avec tout l'humour que je lui connais! Michel travaille au Cinéma Pine, oh... Depuis toujours, au minimum, je crois!
En 1978, le père Phil, après avoir doté son cinéma d'une deuxième salle, offre l'entreprise à ses deux fils. Seul Tom voudra continuer l'aventure. En 1995, Odéon projette s'installer à Saint-Sauveur. Tom réplique en lançant sa phase II et trois nouvelles salles sont aménagées dans l'ancien entrepôt de fruits et légumes familial pour plus d'un million de dollars.
Cinquante ans après sa fondation, le Pine grandit encore. Tom acquiert la Station Tremblant, après la faillite de son ancien propriétaire. Il réussit le tour de force d'y faire un léger profit, après y avoir installé des fauteuils achetés en France.
On l'aura compris, Tom Fermanian n'hésite jamais devant la technologie de pointe et, en véritable homme d'affaires, prend de gros risques... calculés!
La récolte de tous les honneurs après un dur labeur : Le prix Jutra du meilleur exploitant de salle du Québec.
Notre Tom tout sourire? Il y a de quoi!
Tom est conscient de l'importance de suivre l'évolution du marché numérique en matière de cinématographie. D'ici peu, l'image sera aussi belle que dans la réalité. Des percées technologiques que Tom redoute. Pas par rejet du progrès! Mais pour une question sentimentale : Tom aura de la misère à se débarasser des ses vieux projecteurs, qu'il a manipulés, enfant, entre un devoir de français et une leçon de mathématiques!
|